Atelier pour l’autogestion 8 : Se tourner vers l’avenir. P Viveret

dimanche 10 août 2008
par  Amitié entre les peuples
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FSE 2003 - Atelier pour l’autogestion

SE TOURNER VERS L’AVENIR
PATRICK VIVERET

http://www.atelierspourlautogestion.org/

Comme ce séminaire s’appelle « actualité de l’autogestion », je préfère aborder des problèmes renouvelés par rapport à ce qui était le débat dans les années 1970, même s’il y a dans ce débat des éléments toujours actuels. Mais faute de temps, je ne les aborderai pas. Il y a trois éléments tournés vers le présent et l’avenir, qui me semblent fondamentaux, pour interroger cette actualité de l’autogestion.

Le premier, qui était déjà présent dans les années 1970, mais qui a pris entre temps une importance beaucoup plus forte, c’est l’ampleur des enjeux écologiques. Nous voyons aujourd’hui clairement, que le mode de croissance dans lequel nous sommes, est un mode de croissance insoutenable pour l’ensemble de la planète. L’application d’un indicateur comme l’empreinte écologique, fait clairement apparaître, qu’à supposer que l’ensemble de la planète adopte aujourd’hui notre mode de production productiviste (qui est celui des pays occidentaux), il nous faudrait dors et déjà deux planètes, et demain trois, quatre, cinq planètes, pour traiter la nature des ressources nécessaires à ce type de mode de production et de consommation, et d’autre part en éjecter les déchets. Nous avons un mode de production qui est insoutenable. Ce qui fait que l’humanité a un rendez-vous majeur, avec le risque que sa propre niche écologique, devienne sinon invivable, crée des perturbations massives.

Il y a une deuxième question qui ne se posait pas dans les mêmes termes à l’époque, même si la critique du stalinisme réel, du communisme réel, du socialisme réel, était fortement portée par les courants autogestionnaires. Il s’est passé en temps l’effondrement du communisme réel. Cette question est fondamentale, car plus le mouvement altermondialiste est important, plus il a des responsabilités historiques, qui ne sont plus simplement du côté de la résistance et de la protestation (même si ces responsabilités sont considérables), mais aussi des responsabilités du côté de la construction d’alternatives à l’échelle mondiale. Plus ce mouvement a des responsabilités, plus il doit s’interroger sur la nature des alternatives qu’il entend promouvoir. Quels sont les contenus à ces autres mondes possibles ? Il faut nous poser les questions sur les précédentes tentatives d’alternatives au capitalisme (et plus singulièrement, la plus spectaculaire, qui a été celle du communisme réel) ont échoué.

Or nous avons ici deux questions extrêmement importantes. L’une qui est le rapport au pouvoir et au système de dominance. C’est-à-dire le fait que si le néo-capitalisme ou le néo-impérialisme est une des formes de dominance dans l’histoire de l’humanité, il n’est pas la seule. La dominance et l’oppression ont commencé bien avant le capitalisme. L’un des points de débats que le féminisme a justement pointé à travers la question du patriarcat, montre à ’évidence qu’il y a des formes de dominance qui sont antérieures au capitalisme. Et d’autre part, le capitalisme n’est pas la seule forme de dominance. (...) et curieusement les mouvements alternatifs au capitalisme ont été capables, si l’on peut dire, d’inventer d’autres formes de dominance et parfois à certains égards pires que celles mêmes du capitalisme. De la même façon qu’il y a des formes de dominance dans l’ordre du sens identitaire, dans l’ordre du religieux, dans l’ordre de systèmes théocratiques qui montrent que la question même qu’un mouvement intermondialiste qui réactualiserait des perspectives autogestionnaires, peut se poser : c’est celle de l’altermondialisation citoyenne qui se fixe comme objectif la lutte contre toutes les formes d’oppression et de dominance.

L’objectif même d’une auto-émancipation de l’humanité, et ceci ne se borne pas à la lutte contre les formes de dominance spécifiques au capitalisme ou au néo-impérialisme - ça c’est un enjeu qui est, tout à fait capital, y compris pour la façon dont ce mouvement avance et dans son propre élargissement et dans une radicalité qui ne soit pas superficielle. Dans son élargissement parce ce que ça veut dire que si la lutte est contre toutes les formes de dominance et d’oppression nous devons tout aussi bien prendre en charge, tant dans nos combats que dans nos alternatives, la question des autres formes de dominance que celles du capitalisme. Pour ne prendre qu’un seul exemple la question chinoise est une question que nous devons clairement intégrer dans ces luttes-là, de la même façon que la question des luttes contre les différentes formes d’intégrisme.

D’autre part, nous devons et c’est mon troisième point - peut-être, je pense, celui sur lequel nous devons réfléchir avec une exigence renouvelée, c’est qu’entre les risques écologiques d’une part et les risques que font poser la convergence entre la mutation informationnelle et la révolution du vivant qui ouvre d’un côté des perspectives positives considérables du point de vue d’une logique d’émancipation mais qui créent aussi des risques sur la substance même de l’humanité qui sont infiniment plus graves que ceux que par exemple le capitalisme industriel avait fait peser, qui étaient des risques considérables du point de vue de la misère, de la déshumanisation.

Mais là, lorsque vous avez la possibilité de ce que l’on commence à appeler la post-humanité c’est-à-dire cette espèce de fusion de moins en moins fantasmatique entre l’intelligence artificielle et la vie artificielle (André Gorz, dans son dernier livre, l’Immatériel, a superbement mis en évidence ce risque là), c’est la substance même de l’humanité qui est en cause et à ce moment-là le lien entre les risques écologiques et le risque que l’humanité en finisse prématurément avec sa propre aventure, soit par auto-destruction collective, soit par mésusage de la révolution du vivant, pose de façon renouvelée la question de l’auto-gouvernance de l’humanité par elle-même.

Il y a là une vraie question autogestionnaire pour l’humanité elle-même, mais elle change la donne même du rapport au politique. Parce que le mode traditionnel du politique sous différentes formes - c’était vrai de la cité grecque, de la tribu, de l’Etat, de l’empire, etc. - c’était face à l’une des questions les plus difficiles de l’humanité qui est le rapport à sa propre violence, la difficulté qu’a l’humanité à construire des rapports inter-humains qui ne soient pas des rapports violents. L’essentiel du processus politique avait été d’externaliser la violence inter-humaine. On pacifiait ou on civilisait une communauté politique, quelle que soit sa forme, entre externalisant la violence sur l’extérieur - l’étranger, l’infidèle, le barbare étaient les boucs émissaires commodes de cette situation.

Or, à l’évidence, lorsque nous nous trouvons dans l’espace mondial nous n’avons plus sous la main des boucs émissaires de type extra-terrestre qui nous rendent ce service là, c’est-à-dire qu’il y a bien une question liée au problème de la barbarie. Mais cette barbarie n’est pas extérieure, c’est une barbarie intérieure. Lorsque nous prenons le problème de l’émancipation et de l’auto-gouvernance à l’échelle de l’humanité elle-même, l’humanité est certes menacée mais elle est menacée principalement par sa propre inhumanité - et là je trouvais que dans le texte très stimulant de Michel Fiant il y a une question fondamentale qui me semble devoir être beaucoup plus traitée dans les années à venir que nous ne l’avions traitée dans les années 70, c’est le rapport entre ce qu’il appelle le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. Parce que l’une des questions que le capitalisme, même sous sa forme globalisée, ne sait pas et ne peut pas traiter, c’est précisément la question du savoir-être et plus l’économie de la connaissance, plus de l’économie immatérielle créent des conditions d’abondance, de richesse potentielle et de richesse tout autant matérielle qu’immatérielle, plus la question de l’abondance se pose et plus l’impossibilité, la pauvreté du modèle capitaliste de développement de répondre à la question du savoir-être, c’est-à-dire du développement dans l’ordre de l’être et pas simplement du développement dans l’ordre de l’avoir, est une question qui devient alors à ce moment une question politique de toute première importance, ce qu’on pourrait appeler la question « anthropolitique », celle-là même qu’Edgar Morin, à travers le débat sur une politique de l’homme, avait commencé de poser. Elle est aujourd’hui la question centrale qui est devant nous.

Quand on prend les grands problèmes mondiaux, que ce soient les grands problèmes sociaux, culturels, économiques ou écologiques, pour l’essentiel ces grands problèmes viennent de postures de dominance et d’oppression et ces postures de dominance et d’oppression sont elles-mêmes liées à la peur, le retour de ce que Recht avait appelé la « peste émotionnelle » est un des problèmes majeurs de notre temps et nous ne pouvons traiter cette peste émotionnelle que si on travaille sur la question de la sagesse au sens le plus fort du terme, c’est-à-dire de la capacité des êtres humains à produire aussi de l’auto-détermination de leur propre vie et à ce moment-là il y a une tension dynamique qui n’est plus simplement la tension entre le local et le global - qui reste tout à fait fondamental - mais qui est la tension dynamique entre le personnel et le mondial. A Porto Alègre par exemple, il y a eu un début de séminaire qui depuis s’est considérablement développé, sur le rapport entre transformation personnelle et transformation sociale, c’est-à-dire la capacité, la question de la praxis et la question de la culture c’est la question de la posture de vie.

Nous ne pouvons sortir des logiques de violence et des logiques de rivalité qui sont directement liées au couple de la peur et de la domination que pour autant que nous pensons l’auto-détermination de notre propre vie et cette question personnelle est celle-là même que l’humanité, comme collectivité confrontée à la question de l’auto-gouvernance, doit même se poser.

Voilà très brièvement trois questions qui me semblent liées au cœur même de la problématique autogestionnaire mais qui sont renouvelées dans la période historique dans laquelle nous rentrons.


Brèves

27 avril 2019 - UE : Refus du travaillisme - RTT 30H hebdo

UE : Refus du travaillisme - RTT 30H hebdo
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30 mai 2010 - TravaillismExit - RTT partout en Europe !

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