BLASPHEME : Peut-on dévaloriser le sacré pour réhabiliter l’humain ? Christian Delarue
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BLASPHEME :
Peut-on dévaloriser le sacré pour réhabiliter l’humain ?
Source le 1/12/2010 :
http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-delarue/011210/peut-devaloriser-le-sacre-pour-rehabiliter-l-humain
La question a été abordée il y a peu sous un autre angle dans un débat sur le racisme : Désacralisation : La critique rongeuse des souris s’attaque au Coran !
Il s’agit ici de réhabiliter l’humain face au retour de Dieu et à l’emprise du Sacré. Grosso modo ce qui est respectable tient à l’humain, à chaque humain, à l’amour de soi et d’autrui tant le proche que l’éloigné. Est-ce là un humanisme simpliste ? Un reste de la philosophie d’ Eric Fromm ? Cette position générale ne suppose pas une attitude "bisounours" en toute occasion. Elle n’empêche pas de vouloir l’émancipation et de choisir ses amis, de s’engager collectivement. Et, pour le reste, d’abattre les fétiches ! Ils sont nombreux !
1) Commençons par les vieux fétiches !
Après la mort de Dieu et la critique de la religion comme opium du peuple il reste le Sacré. Rectification immédiate : Dieu est revenu et les appareils religieux sont toujours aussi présents même si en Occident ils ont du céder du terrain.
Ce sont les religions qui ont créé Dieu. La Chose n’était pas discutable. C’était écrit. De nombreux philosophes peu à peu firent de plus en plus de place à la raison. Mais les lumières montantes n’effacèrent pas la croyance en Dieu. Dans un premier temps les philosophes s’employèrent à conforter l’existence de Dieu en plus de la raison dans d’autres domaines.
Ainsi pour René Descartes (1596 - 1650) "l’existence de Dieu découle de l’idée de Dieu, laquelle est en nous comme celle des êtres mathématiques : c’est une idée rationnelle" (1). La Raison peut prouver Dieu à priori. Il s’agit d’un Dieu abstrait. Un Dieu des philosophes et non un Dieu personnel. Spinoza apporta sa touche personnelle pour démettre le Dieu des religions de son emprise sur les humains. C’est moins Dieu qui est attaqué que ceux qui se réclament de lui pour imposer des normes sévères d’existence aux croyants.
Pour Olivier Le Cour Grandmaison Baruch Spinoza (1632 - 1677) participe du mouvement qui élève l’humain de l’humilité écrasante imposée lourdement par les religions (chrétiennes) aux croyants. "Les théologiens, les moralistes et les superstitieux sont les premiers à être critiqués car, prisonniers de leurs croyances, ils sont ignorants et incapables pour cette raison de combattre efficacement les maux qu’ils observent et décrient" (2).
Pour Emmanuel Kant (1724 - 1804) dira contre Descartes (3) que l’existence de Dieu ne peut être déduite d’une essence, elle ne peut que se constater dans l’expérience. Il est donc impossible de prouver à priori l’existence de Dieu. Mais Dieu n’est pas mort pour autant car à bien suivre E Kant personne ne peut affirmer qu’il n’existe pas.
2) Le combat des tolérances !
A ce stade de la pensée philosophique on pourrait affirmer qu’une pensée de la tolérance devient possible. Certains croient en Dieu et d’autres non. Mais la vie réelle ne reflète pas l’état d’avancement de la pensée philosophique. En effet, dans la vie réelle les grands appareils religieux spécialisés dans l’inculcation de la croyance spécifique d’un Dieu vont continuer à peser sur les familles . La peur y joue un grand rôle ainsi que l’inculcation au plus jeune âge. Historiquement, l’idée de tolérance ( 4) avance chez une minorité d’individus éclairées mais globalement c’est l’emprise totalitaire d’une religion qui domine. Le combat sera rude en France et dans d’autres pays pour faire reculer cette emprise au XIX ème siècle puis au XX ème siècle.
3) De la "mort de Dieu" au maintien du sacré !
En 1882 (6) Friedrich Nietzsche annonce "le plus grand évènement récent - à savoir que "Dieu est mort", que la croyance au Dieu chrétien est tombée en discrédit - commence maintenant à étendre son ombre sur l’Europe".
Plus près de nous, après un trois quart de XX ème siècle porteur d’athéisme, Roger Bastide (1898 - 1974) relativise le propos. Face aux diverses formes d’ athéismes théoriques (5) qui viennent approfondir le fond culturel et philosophique exposé ci-dessus (ou des variations similaires) il ajoute que la réfutation de Nietzsche du Dieu moral n’équivaut pas à la disparition du Sacré. Dieu est mort mais pas le Sacré. L’auteur décèle dans la société de consommation des substituts de religion qu’il appelle le "sacré sauvage" opposé au "sacré domestique" (6). Les petites sectes ésotériques, les nouveaux guérisseurs et les astrologues viennent remplacer les grands appareils religieux monothéistes.
On pourrait dire qu’il y a bien d’autres fétiches : celui de la marchandise disait Karl Marx et un nouveau Dieu le marché avec son appareil de promotion : les entreprises publicitaires.
4) Retour des fétiches : Des vieux aux nouveaux.
Le stalinisme va fétichiser Lénine et lui dresser des statuts. Aujourd’hui un marxisme vivant se développe loin du dogmatisme en vigueur sous l’URSS stalinienne.
Aujourd’hui, il y a résurgence des vieux fétiches religieux et extension du fétichisme de la marchandise étalée partout dans les temples spécialisés. Il y aussi le fétichisme du symbolisme national : drapeau national et musique nationale sont pénalement protégées de ce que l’on pourrait appeler une variété de blasphème de type anti-communautarisme national, anti-nationalisme.
Les vieux fétiches reprennent de la vigueur sous la forme des textes religieux (la Bible, le Coran, la Thora, etc.) sacralisée ou d’autres symboles eux aussi sacralisés. Le créationnisme part en guerre contre Darwin en sortant son livre pseudo-scientifique. Mais il ne semble pas plus sacralisé que le Capital de Karl Marx. Il se veut rationnel plus que dogmatique. Mais l’idéologie le traverse de part en part. Comme le disait Patrick Tort, l’idéologie n’a pas d’histoire, elle se répète . En conséquence, la critique rongeuse des souris va accomplir sa tâche démystificatrice !
Reste encore une réfutation : Les façons de s’agenouiller devant le totem sont fort variées car au sein de chacun de ces trois grands monothéismes on ne saurait poser l’existence d’une communauté unie dans la diversité. Pourquoi ? La présence d’extrémistes religieux radicaux (juifs, chrétiens ou musulmans) au plan des mœurs ou de la politique poussent à des refus d’appartenance communautaire (7). Ce qui compte ne tient pas toujours à la matrice religieuse de référence mais plus aux pratiques réelles. Ici on trouvent des progressistes et des réactionnaires. Et des combats à mener !
Christian Delarue
1) Méditations métaphysiques V 1641
2) Haine(s) : Philosophie et politique par Olivier Le Cour Grandmaison (PUF 2002)
3) Critique de la raison pure.
4) cf. petit livre sur la tolérance aux PUF coll philo.
et Diffamation de la religion ou le blasphème complément de la laicité.
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article995
5) Citons l’existentialisme sartrien, les marxismes, la pensée foucaldienne, le(s) structuralisme(s) ect...
6) Sacré sauvage (1975)
7) Sur ce point je reprends pour partie Julien Landfried qui dit : "Mais sans aller jusqu’au « communautarisme », c’est déjà le terme « communauté » qui pose problème. D’abord parce que les communautés, ça n’existe pas. Montrez-m’en une !" Pour moi il n’y a que l’Etat acteur international reconnu par le droit international qui crée une "communauté nationale" et qui donne une carte d’identité nationale. Cette façon de constituer la "communauté nationale" est toujours contestable soit pour la refermer soit pour l’ouvrir vers plus de citoyenneté, notamment vers la citoyenneté de résidence, ce qui constituerait un débordement de la notion classique de "communauté nationale". On aurait un peuple-démos éloigné d’un peuple ethnos.