L’ESS voudrait « changer d’échelle ». Pourquoi ? Comment ? J Gadrey

samedi 6 juillet 2013
par  Amitié entre les peuples
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L’ESS voudrait « changer d’échelle ». Pourquoi ? Comment ?

par Jean Gadrey

C’est une idée très présente au sein de la galaxie de l’économie sociale et solidaire : changer d’échelle. J’ai été amené à en dire deux mots au cours d’une table ronde organisée récemment à Lille. Extraits et résumé.

Changer d’échelle, cela veut dire grandir en quantité et/ou en qualité, se développer en tant qu’ESS, parce qu’on pense qu’on a des missions qui nous attendent, qu’on a un potentiel d’innovation, des modèles économiques qui peuvent marcher, qu’on n’est pas assez connus et valorisés, et que la société se porterait mieux avec une ESS plus présente.

Or c’est le genre de propos que peuvent tenir tout aussi bien les entreprises privées à but lucratif obsédées par la croissance. La croissance classique, c’est aussi changer d’échelle ! Changer d’échelle pour l’ESS n’a de sens qu’en fonction de finalités repensées, en montrant que l’ESS a des qualités particulières pour répondre à des besoins d’avenir sans négliger ceux du présent. Mais lesquels ?

PARTIR DES BESOINS ET DES FAÇONS DE LES SATISFAIRE

Comment réfléchir à ces besoins d’avenir alors que nous sommes plongés dans une crise écologique et sociale qui selon moi ne fait que commencer ?

Je propose un fil directeur : les économies et sociétés du futur seront non plus des économies de production et de consommation croissantes de quantités issue de la double exploitation du travail et de la nature, des « sociétés de croissance », mais d’abord DES ÉCONOMIES (ET DES SOCIÉTÉS) DU « PRENDRE SOIN ». En voici cinq axes, qui peuvent aider à identifier des catégories de besoins existants ou émergents, première étape d’une stratégie de changement d’échelle :

1) PRENDRE SOIN DES PERSONNES, de leur santé, éducation, culture, bien-être, avec le souci non seulement d’aider ces personnes mais surtout de favoriser leur autonomie et leur activité propre, en combattant toutes les exclusions. Prendre soin du travail aussi, en relation avec les syndicats, composantes selon moi de l’ESS ;

2) PRENDRE SOIN DU LIEN SOCIAL à préserver et renforcer, de la solidarité de proximité autant qu’à d’autres échelles, et de l’accès à des droits universels liés à des biens communs ;

3) PRENDRE SOIN DES CHOSES et des objets, pour les faire durer, les utiliser, les concevoir et les produire à cet effet ;

4) PRENDRE SOIN DE LA NATURE et des biens communs naturels, dans toutes les activités humaines, afin de rester dans les limites des écosystèmes et de transmettre aux générations futures des patrimoines naturels en bon état ;

5) PRENDRE SOIN DE LA DÉMOCRATIE, vivante et permanente, bien au-delà de la démocratie à éclipse des élections, souvent décevante ou trompeuse. C’est peut-être le premier des biens communs, ou le plus transversal.

Or pour presque toutes ces finalités ou besoins d’avenir, l’ESS dispose de vrais atouts, en tout cas sur le papier. Prendre soin des personnes et de leur insertion dans la société, du lien social et de l’utilité sociale, de l’environnement, de la démocratie, etc., c’est le plus souvent au cœur des projets et finalités de l’ESS. Ce n’est pas au centre des finalités des entreprises capitalistes, qui n’ont pas été inventées pour cela, qui peuvent parfois s’y intéresser, mais à titre secondaire, ou en pratiquant le socialwashing et le greenwashing.

Atout majeur : l’ESS est née et continue à naître sur le terreau de la société civile et de citoyens qui s’associent et coopèrent. Or dans cette crise, les principales forces qui portent les exigences d’une économie et d’une société du prendre soin se trouvent du côté de la société civile. Elles ne sont pas les seules, heureusement, mais elles sont souvent motrices. D’autres atouts existent : la présence globalement importante de bénévoles, le développement avec et pour les territoires, jouant le plus souvent sur la proximité et les liens directs, et un potentiel d’innovation et d’entrepreneuriat alternatif.

LIMITES DE L’ESS

Il faut les identifier car une bonne partie du changement d’échelle devrait consister à surmonter celles de ces limites qui sont des défauts. D’abord, l’ESS vit dans un environnement économique hostile. Elle est actuellement en difficulté. Les financements publics se tarissent. De grandes associations mettent la clé sous la porte bien que d’autres voient le jour. La logique de la concurrence « faussée » par les prix les plus bas ne leur permet pas de valoriser leurs apports sociétaux multiples. On réduit ou annule des financements pérennes.

Ensuite, l’ESS subit parfois la contagion des logiques d’entreprises capitalistes et de leurs marchés. Des dérives sont apparues dans la crise.

Les valeurs démocratiques sont parfois mises à mal par des dirigeants ou des technocraties qui confisquent le pouvoir. Les « parties prenantes », dont les salariés, sont parfois traitées comme « parties négligeables » dans la gouvernance. Il existe beaucoup d’emplois atypiques. Les femmes sont peu présentes parmi les dirigeants. Pour changer d’échelle, des progrès vers une gestion vraiment participative sont nécessaires, car c’est l’un des grands domaines où, selon P. Frémeaux, l’ESS peut « donner envie » alors que le pouvoir exclusif des actionnaires fait des ravages ailleurs. Il faudrait mieux associer les salariés, et chaque fois que possible les usagers ou bénéficiaires. Cela existe déjà, mais de façon lacunaire.

Puis, le développement de l’ESS est marqué par d’importantes inégalités territoriales, de sorte que sa capacité de « produire » de l’utilité sociale n’est pas bien répartie, et qu’elle fait même parfois défaut là où elle serait la plus utile. Je n’ai pas les solutions, mais je suppose qu’elles se trouvent du côté de partenariats équilibrés entre les réseaux de l’ESS et les acteurs publics.

Enfin, la capacité de mobilisation collective des organisations de l’ESS reste faible, même si on constate, avec la crise, une tendance à ce que des acteurs de l’ESS se présentent plus qu’avant comme une force de transformation, pour reprendre les termes du Labo de l’ESS.

Pour changer d’échelle et changer de cap, il faudrait donc 1) innover pour aller à la rencontre des besoins d’avenir liés au « bien vivre dans une société soutenable », au « prendre soin » 2) une gestion plus conforme aux principes affichés, et 3) changer de braquet en termes d’action collective de l’ESS pour non seulement rendre visible ce qu’elle est et ce qu’elle peut faire, mais se manifester et si besoin manifester. L’ESS a encore des traits culturels qui freinent ce que d’autres appellent l’action revendicative, qui ne se limite pas à la communication, aux pétitions et au lobbying, au demeurant utiles.

Comment clamer ensemble aux politiques qu’on a moins besoin de pôles de compétitivité que de pôles de solidarité, moins besoin de choc de compétitivité que de choc de partage, moins besoin de croissance, qui de toute façon va faire défaut, que de qualité du vivre ensemble et de prendre soin des patrimoines de société ? L’ESS peut y contribuer. Elle le fait déjà, mais à une « échelle » et sous des modalités qu’on peut changer.

La suite de l’article sur :

http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2013/07/06/l’ess-voudrait-« -changer-d’echelle- »-pourquoi-comment/


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