La loi de 1905 : histoire, enjeux, actualité
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Résumé actualisé des conclusions d’une conférence consacrée à « la loi de 1905 : histoire, enjeux, actualité » réalisée dans le cadre de la réunion de section de Loire Atlantique de l’Union Rationaliste du 11 septembre 1996.
Aujourd’hui, tout le monde est laïque, ou plus exactement, tout le monde se réclame de la laïcité, y compris l’Eglise elle-même, à l’occasion des récentes « Journées Mondiales de la Jeunesse » catholique. Il est donc naturel de reposer une nouvelle fois la question : Qu’est donc cette laïcité, qui fait l’unanimité ?
Historiquement, la laïcité est la séparation entre les affaires publiques et les religions ou idéologies. C’est le fameux « rendez à César … ». En France, c’est une conquête républicaine ; elle est une conséquence de la Révolution Française, et elle a été imposée contre l’Eglise catholique.
La première séparation des Eglises et de l’Etat date du 3 Ventôse an III (1795).
Elle répond au souhait de Condorcet qui écrivait en 1786 :
« Puisque le culte est nécessairement le résultat des opinions religieuses sur lesquelles chaque homme ne peut avoir de juge légitime que sa propre conscience, il apparaît que les dépenses du culte doivent être faites volontairement par ceux qui croient les opinions sur lesquelles le culte est fondé. »
Cette séparation a été close par le Concordat de 1801
imposé par Napoléon Bonaparte.
La deuxième séparation a été encore plus brève ; elle n’a duré que quelques semaines pendant la Commune de Paris en 1871. Elle a pourtant de nombreux points communs avec la première. Dans les deux cas, c’est sur la base d’un soulèvement populaire, d’essence républicaine, déclarant l’égalité des droits des citoyens, que la séparation des Eglises et de l’Etat est obtenue, instituant donc la laïcité.
On connaît mieux la troisième séparation, celle de 1905, qui s’applique encore aujourd’hui, malgré toutes les modifications apportées par Pétain ( et jamais abrogées depuis ) et les multiples attaques dont elle est actuellement l’objet.
Institutionnellement, comme on l’a vu, c’est bien la République, et l’égalité des droits des citoyens, qui peuvent seules fonder une vraie laïcité. L’égalité des droits, c’est l’instauration des mêmes droits pour tous, indépendamment de l’opinion, de l’idéologie, de la philosophie, ou de la religion de chacun.
Il ne peut donc y avoir d’idéologie ou de religion officielle, car, si c’était le cas, il y aurait obligatoirement instauration d’une différence des droits entre ceux qui se reconnaissent dans cette idéologie ou religion officielle, et ceux qui ne s’en réclament pas.
La même question se pose dans une société pluraliste, c’est à dire dans une société qui a plusieurs idéologies ou religions officielles. Les droits seront différents entre les adeptes de ces différentes religions ( comme dans la constitution libanaise de 1950 ) et surtout entre ceux qui partagent l’une des religions ou idéologies officielles de l’Etat, et ceux qui ont des opinions différentes.
La République, pour maintenir l’égalité des droits, doit donc décréter l’absence totale d’idéologie ou religion officielle, refuser de reconnaître les cultes, prononcer la séparation entre le public et le sacré, et renvoyer ces questions dans le domaine privé de chacun. C’est ce qu’a fait, dans des circonstances historiques précises, la loi de séparation de 1905.
Nous pouvons maintenant définir un peu mieux ce qu’est la laïcité, et surtout ce qu’elle n’est pas. Ceci nous permettra de voir plus clair dans les différentes définitions trouvées ici ou là.
La laïcité est-elle une opinion ?
Dans une République respectant l’égalité des droits des citoyens, donc ayant institué officiellement la laïcité, celle-ci ne peut pas être une opinion, une idéologie particulière. En effet, si c’était le cas, il y aurait une idéologie officielle, et la République ne serait plus laïque.
On doit donc considérer la laïcité uniquement comme une forme de société dans laquelle l’Etat est laïque, donc dans laquelle le fait d’avoir une opinion ou une religion quelconque ne donne aucun droit supplémentaire. Parler de « laïcité institutionnelle » est donc simplement un pléonasme.
Naturellement, cette société ne peut se maintenir que si une majorité de citoyens la défendent ; on peut donc à la rigueur appeler « laïques » tous ceux qui sont attachés à la laïcité et qui oeuvrent à sa défense. Encore ne faut-il pas mettre derrière le mot laïque autre chose que cette défense. Par exemple, il ne faut pas confondre la laïcité avec l’humanisme, ou avec la défense de l’école publique, notions certes connexes, mais néanmoins différentes.
Où sont les « laïques » aujourd’hui ?
Dans le cadre défini ci-dessus, il faut les chercher dans ceux qui défendent la séparation des Eglises et de l’Etat, c’est à dire en France la loi de 1905, et qui veulent l’épurer des ajouts pétainistes.
Qui sont les anti-laïques ?
Il y a de multiples formes d’opposants à la laïcité, dont la plupart paradoxalement s’en réclament :
Ceux qui versent de l’argent public aux cultes, violant ouvertement l’Article 2 de la loi de 1905 qui déclare : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Les modes de versement sont aujourd’hui très diversifiés : subventions aux écoles catholiques, à la cathédrale d’Evry, aux manifestations liées aux visites du pape ( y compris l’hébergement des pèlerins dans des bâtiments publics), etc.. Et l’utilisation d’associations intermédiaires, qui permet de continuer à violer le fond de la loi de 1905 sans en violer ouvertement la forme, n’est qu’un paravent qui ne grandit pas ceux qui s’y adonnent. On notera d’ailleurs que, en ce mois de décembre 1997, la Région des Pays de la Loire et le Conseil Général de Mayenne viennent d’être condamnés par le Tribunal Administratif pour violation de la loi de 1905 en ayant versé 100.000 francs de subvention à l’Eglise à l’occasion des Journées Mondiales de la Jeunesse Catholique.
Ceux qui défendent le pluralisme en l’appelant « laïcité ouverte », expliquant après l’Eglise que la séparation est mutilante, que la religion est partie de notre histoire, et qu’il faudra bien lui redonner une place dans l’Etat. Leur influence est considérable ; ainsi les nouveaux manuels scolaires sont de plus en plus rédigés sur cette orientation. Relèvent de cette catégorie ceux qui veulent que toutes les religions aient les mêmes privilèges que l’Eglise catholique, et même ceux qui réclament ces droits pour les « laïques », transformant ainsi la laïcité en idéologie concurrente des religions, donc en se situant sur leur terrain. Le pluralisme institutionnel, qui s’oppose à la séparation, est aujourd’hui l’une des attaques principales contre la laïcité.
Ceux qui affaiblissent la loi de séparation du 9 décembre 1905 en donnant la priorité à une Europe non laïque, qui demain risque d’imposer la reconnaissance officielle des religions. Cette Europe dont on nous vante la future monnaie n’est pas une République, et les décisions essentielles y sont prises par une Commission non élue. Elle ne peut donc être laïque.
L’enjeu est d’importance ; c’est bien l’un des piliers de la République qui est menacé, et déjà mis à mal. Sa défense impose la clarté sur les positions des uns et des autres.
Si l’Eglise a inventé en 1951 la « laïcité ouverte » ( titre d’un ouvrage de l’évêque de Bourges ), c’est pour consolider son offensive anti-républicaine. Les « laïques » devront de plus en plus mettre au centre de leur activité ce qui peut les rassembler par delà leurs divergences : la défense de la séparation des Eglises et de l’Etat instituée en France par la loi de 1905, et le retour à son application intégrale.