Mettre fin à la main mise des rentiers et des spéculateurs sur les fonds publics. D Minvielle
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Mettre fin à la main mise des rentiers et des spéculateurs sur les fonds publics
16 avril 2010 Daniel Minvielle
http://www.npa-debatrevolutionnaire.org/lettres/dr26/a2#note
Un jour, on apprend que la crise grecque du déficit est « désamorcée », le lendemain, que la « confiance des marchés » est en baisse, ou encore que, d’après un « grand nombre d’experts », le « défaut de paiement » de la Grèce est « inévitable »...
Ce yoyo médiatique traduit l’instabilité de l’humeur des spéculateurs occupés à tirer le maximun du trafic des titres de la dette grecque, entraînant aujourd’hui les taux à la hausse, se calmant le lendemain à l’annonce des « plans » décidés par l’Union européenne pour « rassurer les marchés »… Instabilité qui est une des manifestations de la crise des déficits qui, si elle touche au premier chef la Grèce, l’Espagne et le Portugal, menace en réalité un bien plus grand nombre de pays, y compris parmi les plus riches.
Une crise généralisée de la dette privée avait sonné, au début de l’été 2007, l’entrée dans la crise globalisée qui frappe l’économie mondiale. Presque trois années et des milliers de milliards d’aides des Etats à la finance internationale plus tard, nous voici devant une crise généralisée de la dette publique dont les perspectives d’évolution rendent totalement dérisoires les discours sur la « reprise ».
Non contents de ne mettre en œuvre aucune des mesures qui s’imposeraient pour mettre un terme au jeu destructeur des spéculateurs, les gouvernements invoquent cette dette pour justifier une accentuation brutale de leur offensive contre les populations. La dette publique, tout comme aujourd’hui les déficits des caisses de retraite, sont présentés comme une maladie mystérieuse, dont on ignorerait les causes. Et, à défaut d’être capables de prendre le mal à la racine, il nous faudrait accepter d’ingurgiter une nouvelle dose de la potion sensée en calmer les effets, une nouvelle escalade de la régression sociale !
Mensonge d’Etat, pour tenter de masquer une réalité qui s’impose peu à peu : la dette, les déficits, la crise elle-même, n’ont rien d’une fatalité, ils sont le résultat d’une politique. Et les solutions pour y mettre fin sont simples. Elles passent par la contestation du pouvoir que les banquiers imposent à l’ensemble de l’économie, la nationalisation du système financier et bancaire, sa mise sous contrôle démocratique des travailleurs et de la population.
Une politique diamétralement opposée à la guerre de classe menée depuis des décennies par l’aristocratie financière internationale avec la complicité active des gouvernements pour s’approprier toujours plus des richesses produites par le travail, et qu’ils s’apprêtent à poursuivre de plus belle...
Faire payer les classes populaires « à n’importe quel prix »...
… c’est clairement la « solution » des classes dominantes, portée par la droite au pouvoir en Allemagne ou en France, par la gauche en Grèce, en Espagne et au Portugal. Zapatero vient de le dire dans un interview au Financial Times : « D’ici les élections (générales en 2012), notre politique va être d’austérité et de réduction de coûts. Il n’y a pas d’autre solution.[...] Si nous devons faire plus de coupes (dans les dépenses) ou exiger plus d’austérité, nous le ferons [...] Nous devons être jugés sur la mise en place effective de tous les outils prévus par ce plan. Nous allons le faire, indubitablement, à n’importe quel prix... »
A la brutalité des attaques menées par les gouvernements contre la population de leur propre pays s’ajoute la prédation des pays riches sur les pays pauvres. L’« aide » que vient de concocter l’Union européenne pour la Grèce en est un bel exemple. Les pays européens sont disposés à lui prêter une trentaine de milliards au taux fixe de 5,3 % sur trois ans. Certes, ce taux est inférieur aux taux que le marché obligataire « libre » impose à la Grèce, et n’est pas soumis aux aléas de la spéculation. Mais c’est de l’argent que les Etats européens pourraient eux-mêmes emprunter à des taux bien inférieurs (de l’ordre de 1,5 % pour la France et l’Allemagne). En plus de se faire saigner à blanc par Papandréou pour garantir leurs intérêts aux vampires de la finance, les travailleurs grecs contribueront aussi à assainir le déficit budgétaire des Etats les plus riches ! Un scénario bien connu qui reproduit, à l’échelle de l’Europe, le mécanisme de l’exploitation des populations des pays pauvres par les banquiers des pays riches, par le biais de la dette et de l’« aide ». Mécanisme dans la maîtrise duquel le FMI du socialiste Strauss-Kahn, lui aussi au chevet de la Grèce, s’est fait une sinistre réputation...
Les travailleurs des pays les plus riches ne sont pour autant pas oubliés, le déficit public abyssal servant de nouveau de prétexte, avec d’autres « trous », à de nouvelles offensives, comme celle des retraites en France.
Au delà de leur iniquité, ces mesures d’austérité qui frappent les populations et ces fausses « aides » sont une fuite en avant qui, au lieu d’éloigner la menace des faillites d’Etat, ne peuvent que l’aggraver. Et Zapatero aura beau, dans la presse de la haute finance internationale, multiplier les promesses de presser comme des citrons les travailleurs espagnols, il ne « rassurera » les spéculateurs… que pour mieux les inciter à poursuivre leur jeu.
Mais l’injustice criante et l’absurdité des plans qui frappent les populations tandis que les véritables responsables affichent des « résultats » insolents alimentent la colère et la révolte. Les discours que nous tiennent les dirigeants politiques depuis des mois que dure la crise apparaissent pour ce qu’ils sont : des mensonges destinés à lanterner le bon peuple, à masquer leur impuissance foncière à changer le cours des choses. Les manifestations en Grèce, mais aussi la crise politique qui frappe le pouvoir en France, avec un Sarkozy de plus en plus en difficulté et une droite de plus en plus divisée, en sont l’illustration. La question politique du moment est de donner des perspectives à cette révolte.
En finir avec le bouclier fiscal...
Le minimum serait, comme le défend actuellement le Parti socialiste, de mettre fin à l’injustice scandaleuse que constitue le bouclier fiscal. Ce cadeau fait aux plus riches, au patronat, est une des causes de l’aggravation des déficits publics, dans la mesure où cela diminue d’autant les ressources budgétaires dont l’Etat a besoin pour financer ses dépenses.
Mais outre le fait qu’il y a bien d’autres injustices dans le système fiscal, à commencer par la TVA qui taxe les plus pauvres, ceux qui dépensent toutes leurs ressources pour vivre, à hauteur de 20 % de leur revenus, en focalisant leur combat parlementaire sur le bouclier fiscal, les dirigeants du PS esquivent le fond du problème : mettre fin aux mécanismes qui autoalimentent la course en avant de l’endettement.
Et sur ce terrain, pas question, pour eux, de remettre en cause la nécessité pour l’Etat de rembourser ses dettes à des banques qu’il a récemment largement renflouées sur les fonds publics. Ni celle d’en faire payer les frais par la population, par le biais de l’impôt. Ils mèneront, s’ils reviennent aux gouvernes de l’Etat en 2012, avec la même brutalité si c’est nécessaire, la même politique que Zapatero, contre la population et au profit des classes possédantes. Car, pour eux non plus, « il n’y a pas d’autre solution ».
... taxer les transactions financières, modifier les statuts de la BCE, ...
La suppression du bouclier fiscal est aussi une des revendications du PCF, ainsi que d’autres mesures, mises en avant également par les mouvements antilibéraux, comme Attac, telles la taxation de transactions financières, ou encore une modifications des statuts de la BCE, afin de lui permettre de prêter de l’argent à taux réduit aux Etats.
Il est certain que l’interdiction qui est faite à la BCE, comme aux autres banques centrales, de prêter de l’argent aux Etats, est une mesure favorable aux institutions financières privées auxquelles elle donne de fait le monopole de la dette publique. Elle leur assure ainsi, dans le cadre d’un « marché obligataire libre » propice à toutes les spéculations, la possibilité de se nourrir en parasite sur les richesses de toute la société. Et elle transforme les gouvernements en jouets de leurs jeux spéculatifs, comme on peut le voir en direct en ce moment.
Mettre fin à ce monopole serait un pas important contre le pillage des richesses publiques par la finance. Mais encore faudrait-il que les moyens politiques envisagés pour mettre en œuvre de telles mesures ne soient pas en contradiction totale avec leurs objectifs ! Or la seule perspective politique que se donne actuellement la direction du PC, c’est le « projet » d’un « front populaire » pour « faire gagner la gauche en 2012 », c’est-à-dire revenir au pouvoir avec le PS. Et elle fait semblant de croire qu’il lui sera possible, d’ici là, de convaincre ce dernier de prendre en compte, dans son programme, ce qu’elle présente comme une « idée nouvelle ». Comme si c’était faute d’« idées » que le PS avait activement contribué à mettre en place le monopole des banques sur la dette !
... ou permettre à la population de contrôler les fonds publics
Le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) pose le problème bien plus sérieusement. Dans un texte du 3 novembre 2009 intitulé « Dette publique : quelle réponses ? », l’auteur [1] conclut : « Pour mener une politique monétaire profitable à la collectivité, encore faut-il que celle-ci s’approprie ses outils, en premier lieu en nationalisant (sans indemnités, ni rachat) et en plaçant sous contrôle la totalité du système financier et bancaire.
Il faut aussi et surtout une mobilisation sociale de haut niveau pour les porter. Cette mobilisation sociale n’a de sens que si elle implique le contrôle citoyen et l’appropriation collective à tous les niveaux de ce que produit la société. Il en est de la dette publique comme de l’écologie : sans transformation sociale radicale de la société, pas de solution durable.
De ce point de vue, la dette publique est un bon exemple. Un audit citoyen de cette dette est nécessaire pour décider de la légitimité ou non de celle-ci et pour imposer, au cas fort probable d’une réponse négative, son annulation pure et simple.
Au CADTM, nous souhaitons que la mobilisation sociale s’empare de cette revendication : si la dette est publique, alors auditons-la publiquement, totalement et collectivement et décidons ensemble de son sort ! »
Nous ne pouvons qu’être pleinement d’accord avec cette perspective, qui suppose de rompre avec une politique qui, au fil des siècles, à érigé le mécanisme d’exploitation de la dette au rang d’élément central de l’extorsion des richesses collectives par la grande bourgeoisie financière.
Le principe de ce mécanisme n’est pas récent, et il y a bien longtemps que les usuriers capitalistes se nourrissent de la rente que constitue la dette des Etats, les conduisant parfois à la faillite. Mais le phénomène atteint actuellement des niveaux inégalés, il s’est globalisé et son développement sans contrôle menace maintenant de faillite l’ensemble du système.
Cette évolution ne doit rien à des « lois naturelles » contre lesquelles on ne pourrait rien. La délégation aux banques privées du monopole de la dette publique comme privée relève de décisions politiques qui n’ont rien de surnaturel, mais visent clairement à répondre aux intérêts des classes dominantes.
Pendant de nombreuses années, la Banque de France était placée sous le contrôle de l’Etat et avait, parmi ses missions, celle de consentir gratuitement des avances à l’Etat quand la situation l’exigeait. Cette mission lui a été retirée en 1973, avant qu’en 1993, sous la présidence de Mitterrand, le gouvernement Balladur ne décide de son « indépendance » et ne lui interdise« d’accorder toute sorte de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics, de même que l’acquisition de titres de leur dette »...
Mitterrand et Balladur préparaient ainsi son intégration au Système Européen de Banques Centrales, créé avec la BCE en 1998 sous l’égide des duettistes Chirac-Jospin, et dont les statuts précisent : « Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des Etats-membres, [...] d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes et entreprises publics des Etats membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite ».
Ces lois, en accordant aux banques le monopole du crédit public, leur donnent le pouvoir de fabriquer la « monnaie de crédit », celle qui sert aux échanges sous la forme de chèques, d’échanges électroniques...
Contrairement à ce que l’on peut croire, l’argent que prêtent les banques ne provient pas de l’argent déposé par les clients, sous forme d’épargne ou de comptes courants. Il y a bien longtemps que les sommes accumulées dans les dépôts sont incapables de couvrir, et de loin, la masse des prêts accordés par une banque. Lorsqu’une banque accorde un crédit à un individu, une entreprise ou un Etat, elle réalise simplement des opérations d’écriture comptable, ce qui revient à créer, à partir de rien, une quantité équivalente de « monnaie de crédit ». Il s’agit, en quelque sorte, de fausse monnaie, mais fabriquée avec l’accord de l’Etat...
Le monopole du crédit se transforme ainsi en monopole de la fabrication, par les banques privées, d’une part considérable de la monnaie qui circule dans les échanges commerciaux. On estime que seulement 7 % de la masse monétaire circulant est constituée des billets de banque et des pièces, dont la production reste sous le contrôle des banques centrales. Le reste, 93 %, est constitué de la monnaie de crédit, produite par les banques privées. Telle est la réalité du soi-disant monopole de la création monétaire que détiendraient les Etats par le biais des banques centrales...
Il n’y a pas d’autre limite à la création de monnaie de crédit par les banques que la perspective d’en retirer un gain, sous forme d’intérêt, autrement dit que la solvabilité présumée de l’emprunteur. Mais ces intérêts, eux, ne sont tombent pas du ciel. Ils viennent des richesses bien réelles produites par le travail humain : partie des revenus, s’il s’agit d’un emprunteur privé ; partie des profits extorqués par l’exploitation, s’il s’agit de la dette d’une entreprise ; partie des impôts payés par la population, s’il s’agit d’une dette publique.
Donner à une poignée de grands actionnaires la possibilité de capter une part toujours plus grande des véritables richesses produites par le travail humain en prêtant, contre intérêt, de la monnaie fabriquée à partir de rien, voilà la véritable motivation des dirigeants politiques, de droite comme de gauche, lorsqu’ils ont accordé aux institutions financières privées le monopole du crédit.
« L’Etat, c’est moi », aurait répondu Louis XIV à un membre du Parlement qui lui parlait de « l’intérêt de l’Etat »... « l’Etat, c’est nous » pourraient dire aujourd’hui, non sans raison, les grands financiers. Car on est bien en présence d’une véritable privatisation de l’Etat, avec des gouvernements réduits au rang de commis d’une aristocratie financière totalement parasitaire qui, par sa course folle au profit, conduit l’ensemble de l’humanité à la ruine.
S’en prendre aux racines du mal de la crise des déficits, tout comme à la véritable cause des « trous » des caisses de retraite ou de sécurité sociale, impose de mettre fin à la main mise des rentiers et des spéculateurs sur l’ensemble du système financier, sur les fonds publics, sur l’Etat lui-même.
Cela passe nécessairement par l’expropriation des grands actionnaires des banques et autres institutions financières, leur nationalisation et leur placement, ainsi que les fonds publics, sous le contrôle démocratique de la population.
Il y a un siècle, le patron américain de l’automobile Henry Ford écrivait : « Il est une chance que les gens de la nation ne comprennent pas notre système bancaire et monétaire, parce que si tel était le cas, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin ». Il serait cruel de le faire attendre plus longtemps…
Daniel Minvielle